La norme sur le chiffre d’affaires : où en est-on un an après ?
Rappel du contexte
Le chiffre d'affaires est une mesure essentielle pour les utilisateurs des états financiers : elle est utilisée pour évaluer la performance financière d’une société ainsi que ses perspectives.
Pourtant, les dispositions précédentes contenues respectivement dans les référentiels IFRS et US GAAP divergeaient et donnaient lieu à des comptabilisations différentes pour des transactions économiquement similaires. De plus, si les US GAAP étaient beaucoup trop prescriptives et contradictoires par endroit, les dispositions IFRS n’étaient pas suffisamment détaillées.
Afin de résoudre ces problèmes, les deux Boards ont donc décidé de travailler conjointement à l’élaboration d’une norme IFRS et d’une norme US GAAP qui améliorent de façon substantielle l'information financière sur le chiffre d'affaires et la comparabilité des états financiers des sociétés.
Ainsi, les deux Boards ont consulté tout au long du projet, ensemble et largement, les parties intéressées, sollicitant les commentaires du public à chaque étape du due process et affinant consécutivement leurs propositions. Les Boards ont reçu au total plus de 1 500 lettres de commentaires en réponse à leur consultation.
Champ d’application de la norme IFRS 15
La norme IFRS 15 s’applique à la comptabilisation du chiffre d'affaires provenant de la vente de biens et de services dans le cadre de contrats conclus avec des clients.
En revanche, IFRS 15 ne traite pas des contrats qui relèvent de normes spécifiques, à savoir les contrats de location (IAS 17), les contrats d’assurance (IFRS 4) et les instruments financiers (IAS 39 / IFRS 9).
La norme IFRS 15 remplace IAS 11 « Contrats de construction » et IAS 18 « Produits des activités ordinaires », ainsi que les interprétations correspondantes : IFRIC 13 « Programmes de fidélisation de la clientèle », IFRIC 15 « Contrats de construction de biens immobiliers », IFRIC 18 « Transferts d’actifs provenant de clients » et SIC 31 « Produits des activités ordinaires – Opérations de troc impliquant des services de publicité ».
Constitution d’un « Transition Resource Group » (TRG)
Pour la première fois, un groupe de travail a été créé, le Transition Resource Group , pour aider à la transition vers la nouvelle norme sur le chiffre d’affaires, ce groupe de travail est conjoint à l’IASB et au FASB.
Mis en place en juin 2014, le rôle du TRG est triple :
- identifier et analyser avec les parties prenantes, avant l’entrée en vigueur de la norme, les difficultés d’application que pourrait soulever la norme,
- informer l’IASB et le FASB, qui décideront, le cas échéant, des mesures à prendre,
- fournir un forum de discussion aux parties prenantes, qui pourront tirer profit de l’expérience des uns et des autres.
Le TRG est constitué de 27 membres (préparateurs d'états financiers, auditeurs et utilisateurs) provenant d’horizons géographiques et sectoriels divers ainsi que de 4 observateurs (International Organization of Securities Commissions, U.S. Securities and Exchange Commission, Public Company Accounting Oversight Board et American Institute of Certified Public Accountants).
Toute partie intéressée peut soumettre ses questions au TRG sur le site internet de l’IASB. L’IASB et le FASB évaluent ensuite chacune de ces questions, pour décider de l’ordre de priorité dans lequel elles doivent être traitées par le TRG.
Le TRG s’est déjà réuni quatre fois : en juillet et octobre 2014, puis en janvier et mars 2015. Il prévoit de se réunir de nouveau en juillet et novembre 2015. Ces réunions sont publiques.
Principe fondamental d’IFRS 15
Le principe fondamental d’IFRS 15 est que la comptabilisation des produits résultant de contrats conclus avec des clients doit refléter le transfert de biens ou de services au client, et ce pour le montant auquel l'entité s'attend à avoir droit. Le transfert des biens et services est fondé sur la notion de transfert de contrôle.
La nouvelle norme, y compris son guide d’application, se traduit également par l’apport de précisions quant à des transactions qui n’étaient pas complètement traitées auparavant (par exemple, les contrats comprenant plusieurs éléments ou la modification de contrat) et l’amélioration des informations à fournir en annexe.
Les 5 étapes à mettre en œuvre pour comptabiliser un produit
En pratique, la comptabilisation du chiffre d’affaires selon IFRS 15 suit 5 étapes :
- l’identification du(des) contrat(s) conclu(s) avec un client,
- l’identification des différentes obligations de prestation du contrat,
- la détermination du prix de la transaction,
- la répartition du prix de la transaction par obligation de prestation,
- la comptabilisation du produit lorsque les obligations de prestation sont satisfaites.
Les difficultés d’interprétation que suscite la nouvelle norme IFRS 15
Depuis février 2015, l’IASB et le FASB analysent les difficultés d’interprétation de la norme qui leur sont remontées par le TRG.
Ces analyses ont notamment porté sur les sujets suivants :
Sujet | Décision provisoire de l’IASB | IASB Update de |
Les licences de propriété intellectuelle | Proposition d’amendements | Fév. 2015 |
L’identification des obligations de prestation | Proposition d’amendements | Fév. 2015 |
Simplifications pratiques additionnelles dans le cadre des dispositions transitoires | Proposition d’amendements | Mars 2015 |
Présentation des taxes sur le chiffre d’affaires : inclusion ou non dans le chiffre d’affaires | Pas d’amendements de la norme | Mars 2015 |
Contrepartie reçue autre qu’en trésorerie | Pas d’amendements de la norme | Mars 2015 |
La recouvrabilité de la contrepartie de la transaction | Pas d’amendements de la norme | Avril 2015 |
La distinction entre une entité agissant pour son propre compte ou comme mandataire | Proposition d’amendements | Mai 2015 |
L’IASB a décidé d’élaborer un exposé-sondage pour l’ensemble des propositions de clarification d’IFRS 15 déjà identifiées. L’exposé-sondage devrait paraître au 3ème trimestre 2015.
Les licences de propriété intellectuelle
Selon IFRS 15, une licence accordée à un client lui donne :
(i) soit un droit d’accès à la propriété intellectuelle du concédant telle qu’elle existe tout au long de la période couverte par la licence, auquel cas le chiffre d’affaires est reconnu progressivement au rythme de la réalisation de la prestation,
(ii) soit un droit d’utilisation de la propriété intellectuelle du concédant telle qu’elle existe au moment précis où la licence est octroyée, auquel cas le chiffre d’affaires est reconnu à un instant précis.
L’IASB et le FASB ont décidé d’amender le guide d’application contenu dans la norme. Ainsi, il sera précisé que :
(a) la licence est considérée comme donnant un droit d’accès lorsque le contrat requiert (ou lorsque le client est raisonnablement en droit d’attendre) que les activités du concédant (ne consistant pas à transférer un bien ou un service au client) affectent de façon significative l’utilité de la propriété intellectuelle à laquelle le client a droit. Tel sera le cas par exemple lorsque les activités du concédant pourraient changer la conception ou les fonctionnalités de la propriété intellectuelle ;
(b) lorsque la propriété intellectuelle a une fonctionnalité autonome significative (telle que la capacité de traiter une transaction), une part substantielle de son utilité résulte précisément de cette fonctionnalité et n’est pas affectée par les activités du concédant.
Par ailleurs, les deux Boards ont décidé de préciser la guidance sur les redevances variables, basées sur le chiffre d’affaires ou l’usage, perçues en contrepartie de l’octroi d’un droit de propriété intellectuelle (§ B63 de la norme), qui constitue une exception au principe général du paragraphe 56 (le produit est reconnu lorsqu’il est hautement probable).
Ainsi, il sera précisé que lorsque le contrat inclut à la fois une licence et la fourniture de biens ou de services :
(a) le vendeur n’a pas à découper son obligation de prestation pour l’application de l’exception, et
(b) l’exception s’applique à l’ensemble de l’obligation de prestation si la licence constitue l’élément principal.
Identification des obligations de prestation
En application d’IFRS 15, le revenu généré par chaque bien et service promis et distinct à l’intérieur du contrat (obligation de prestation) est à comptabiliser séparément.
L’IASB et le FASB ont décidé d’ajouter des exemples dans la norme pour illustrer la manière de mettre en œuvre la guidance sur l’identification des obligations de prestation.
En revanche, contrairement au FASB, l’IASB a décidé de ne pas apporter d’autres modifications, et notamment sur les sujets suivants :
- l’identification des biens et services promis,
- l’identification des biens et services distincts à l’intérieur d’un contrat,
- les activités d’expédition et de manutention (obligation de prestation distincte ?).
Entité agissant pour son propre compte ou comme mandataire
Lorsqu’une entité a recours à un tiers pour fournir un bien ou un service à un de ses clients, elle doit déterminer si elle agit pour son propre compte (auquel cas le produit est comptabilisé pour le montant brut) ou si elle agit comme mandataire (auquel cas le produit est comptabilisé pour le montant net). L’entité agit pour son propre compte, si elle a le contrôle du bien ou du service avant de le fournir au client.
L’IASB a provisoirement décidé de clarifier le principe du contrôle appliqué aux services, en fournissant des exemples de situations dans lesquelles l’entité a le contrôle d’un service fourni par un tiers à son client.
Simplifications pratiques additionnelles dans le cadre des dispositions transitoires
Lors de la 1ère application de la norme, une entité aura le choix entre :
(i) une application rétrospective complète avec quelques mesures de simplifications possibles,
(ii) une application rétrospective alternative, en ne retraitant que les contrats en cours à cette date (dans ce cas, l’effet cumulé sera imputé sur les capitaux propres d’ouverture de l’exercice de première application et il ne sera pas nécessaire de retraiter les périodes comparatives présentées).
Toutefois, certaines entreprises ont exprimé l’impossibilité pratique de retraiter, selon les dispositions d’IFRS 15, toutes les modifications de contrat intervenues antérieurement à la première application de la norme pour les contrats en cours à cette date.
L’IASB et le FASB ont en conséquence décidé d’introduire, dans le cadre des dispositions transitoires, une autre mesure de simplification pratique pour les contrats modifiés :
(i) l’entité devra identifier toutes les obligations de prestation du contrat remplies et non remplies à la date de modification du contrat « CMAD » (Contract Modification Adjustement Date ),
(ii) l’entité devra ensuite déterminer le prix de la transaction à la CMAD, en tenant compte de toutes les modifications intervenues depuis la conclusion du contrat jusqu’à cette date,
(iii)l’entité devra enfin allouer le prix de la transaction aux obligations de prestation identifiées à la CMAD (qu’elles soient remplies ou non) sur la base du prix de vente historique et spécifique à chaque bien ou service.
Cette mesure de simplification permettra ainsi de ne procéder qu’à une seule allocation de prix, c’est-à-dire de ne pas évaluer les impacts de chacune des modifications de manière séquentielle.
L’IASB a décidé que la CMAD correspondrait à la date d’ouverture de la période comparative la plus ancienne présentée (soit le 1er janvier 2016 en cas de présentation d’une seule période comparative pour une première application au 1er janvier 2017), quelle que soit l’approche rétrospective retenue (complète ou alternative).
Enfin, en cas d’approche rétrospective complète, l’IASB a décidé d’autoriser que la norme IFRS ne soit appliquée qu’aux contrats non achevés à l’ouverture de la période comparative la plus ancienne présentée. Rappelons qu’un contrat achevé est un contrat pour lequel l’entité a transféré tous les biens et services identifiés en application d’IAS 11 « Contrats de construction », IAS 18 « Produits des activités ordinaires » et les interprétations associées.
Lorsqu’une entité aura recours à ces mesures de simplification, elle devra en faire mention et indiquer son « appréciation qualitative de l’effet estimé de l’application de chacune de ces mesures, pour autant que cela soit raisonnablement faisable » .
Date d’application de la norme
Sous réserve de l’homologation par l’Union européenne, la norme IFRS 15 devait initialement s’appliquer à compter du 1er janvier 2017, une application anticipée étant par ailleurs possible.
Mais le 19 mai dernier, à l’instar du FASB, l’IASB a proposé de repousser d’un an la date d’application de la norme, soit au 1er janvier 2018 ( exposé-sondage ED/015/2 ), afin de tenir compte de son projet d’amendements de la norme. Les commentaires sur l’exposé-sondage sont attendus pour le 3 juillet 2015 au plus tard.
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Pour consulter la lettre trimestrielle de juin 2014 intitulée « L’essentiel d’IFRS 15 »
Pour se connecter au site internet de l’IASB